digression N° 1b

 

Un trésor enfoui : plus il est enfoui, plus sa richesse semble grande ; mieux encore : plus il se cache, se fait rare, et plus sa valeur se confirme.(" Ce qui est rare est cher etc ".)

Arthur R., "enfant précoce" tôt acclamé, fit rapidement les frais de cette règle. Dans un radical souci d'honnêteté, il paya d'avance, ce mystère chéri, plutôt que d'avoir une ardoise (cf. la "rançon de la gloire" et son cortège d'obligations sociales). C'est comme ça que par les écritures, il dissimula la poésie là, sous un monceau de calculs, de factures et de fiches de paies ...

Le souci du Fulgur' c'est d'être furtif.

Alors il libère sa poésie des liens forcément appauvrissants qui la relient encore à un égo-vampirisateur, et il laisse à ses mots une totale liberté ; non contrôlable par l'éphémère gazouillis des salons intellos, imprévisible, voire inenvisageable, y compris par leur émetteur.

Comme au cinéma, où les plus belles cascades, à coup sûr, sont celles qui semblent mettre la vie en jeu, à un moment donné notre performer prend le risque de jeter sa création à l'oubli, en lui suscitant une mort littéraire.

Ce trapézisme éditorial peut porter ses fruits. Le plus souvent, presque à corps défendant des intéressés.

Cela par le fait du hasard, (nous avons là un des rares domaines où le marketing est désarmé), mais surtout par le pouvoir occulte d'un "triangle infernal" éprouvé : le poète écrivant, , le poète-par-empathie (le lecteur), et le poète mitoyen évoqué dans l'absolu (anonyme).

Car la poésie est un loisir tricéphale : Quand on apprécie une poésie, c'est toujours parce qu'on se sent aussi poète à ces moments-là, (sans pour autant être maître d'ouvrage comme le fut Verlaine). On se ressent poète ; même furtivement, par rapport à l'idée qu'on se fait du poète complet, avec cette croyance survivante, dans les limbes, en un monde poétique. Et alors l'invocation d'une muse de substance éthérée, fraîchement sortie du royaume d'utopie, peut devenir un chant partagé. (Frisson de l'harmonie tant recherchée ...)

 

Effectivement, le déni de paternité peut constituer un artifice pour avancer en terrain miné (cf. l'Underground, ou la Scène Techno). Car la louange n'a de sens que si elle peut aider le créateur à exister autrement qu'une momie dans ses langes parfumés d'encens.

Osons le dire, la monstration laudative, si elle a lieu, doit se limiter à étayer le processus créatif dans sa sinueuse poursuite de concrétisation formelle ; avec son arborescence magnifique, gratifiante par capillarité.

Loin de l'arbre qui cache la forêt, celui-là, bruyament labellisé, outrageusement estampillé, qui étouffe toute pousse culturelle autour de lui, en vidant le sol de ses oligo-éléments ; mais qui reste si avantageux à exploiter ...

Alors que le troubadour (ou le griot) trouvait le succès quand les louanges se faisaient unanimes, quand sa réputation le précédait en franchissant les remparts des châtelains (ou des califes) cultivés ; maintenant des nababs arrosent le succés au jet d'eau sur le bon peuple, indiscipliné ; on asperge à grands coups de marketing ultra-aimant. On adule à la petite semaine.

Dans la vie, en général, le plus grand gage d'estime, l'aide la plus salvatrice, c'est d'autoriser l'exercice de l'art avec (ou malgré) ses "auteurs" irremplaçables. (Comme le suggère la racine étymologique commune au verbe "autoriser" et au substantif "auteur" ; ce nom commun pouvant constituer le plus grand compliment ou la pire accusation).

Ainsi l'authentique reconnaissance a toujours été celle des pairs (désignation qui peut être prise au sens large, celui d'auteurs potentiels : eux qui revendiquent leur opinion, qui la signeraient).

Confraternellement, on s'avise soudain de l'éblouissement venu du talent (et non pas " démocratiquement " pour la circonstance, car présenter un artiste selon son score chez les boutiquiers a quelque chose d'obscène, quand on y pense, et cela gâche le plaisir ...

Profitons de la parenthèse ouverte, pour remarquer que le problème de la démocratie a toujours été de remiser la subjectivité dans un isoloir ; tandis que les faux-semblants d'objectivité n'ont pas lieu d'être dans l'art, pourtant grand prescripteur de suffrages (et ceux-là généralement payants ! Car un CD (entre autres), c'est un peu comme un bulletin de vote, la T.V.A. en plus) ; (par dessus le marché) .

 

Véritablement, l'autorisation d'exercer est liée au plaisir de la découverte partagée, chez les savants (subventionnés) comme chez les personnes publiques (plébiscitées). Nul décret, ni aucun coup de pub, ne peuvent si bien arriver à faire s'épanouir l'authentique expression artistique ; jamais si facilement que la force de persuasion de témoignages avisés, qu'une "communion d'affects" ; sans parler des sentiments éventuellement (" et plus si affinités " ; le verbe "aimer" possède tant de sens) ...

 

Rimbaud a vraiment fui le "star-system", en connaissance de cause ...

(" Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou [...]").

Méfiance : Le culte de la personnalité, omniprésent de par le monde, sera toujours dangereux. Il présente quelquechose de plus misérable que l'idolâtrie d'un veau d'or, et l'on peut y voir quelque stratagème plus pernicieux encore que l'agnosticisme ostentatoire et intolérant.

En vantant la personne, on ralentit momentanément le déroulement de l'ouvrage, et surtout l'édification de l'oeuvre. Car la " remise des prix " constitue toujours une vacance dans le cursus présenté comme méritoire. Par exemple : le thuriféraire télévisuel, au fond, constitue une redoutable entreprise de démolition de la créativité, quand il ne se présente pas comme une société de pompes funèbres (avec ses fameuses "nécros", fumeuses comme un bulletin météo). Ritournelles obséquieuses : partout des speakerin(e)s caudataires rongent leur os.

Ironie : on n'a jamais connu autant de célébrations panégyriques que dans ce dernier siècle qui s'est pourtant affiché, sans complexe, dépositaire de quasiment aucun génie*, ni d'aucun prophète. L'accent étant mis, à tort ou à raison, au XXe, sur le talent (c'est-à-dire le savoir-faire).

Tandis que dans la lointaine Antiquité, presque chaque région avait son prophète§ (quant au "génie", semble-t-il, tout le monde y avait droit, dans son domaine, sauf exception(s) notoire(s) ...)

* Si l'on considère l'oeuvre et non le Q.I. #, comme on l'a toujours fait au fil des temps, Einstein, avec ses inventions pétaradantes, se trouve disqualifié. Il ne resterait donc en lice, pour leur(s) coup(s) de génie, à part peut-être Gandhi (selon un correspondant étranger), qu'un St Exupery ou un Jimi Hendrix, pour avoir su provoquer la liesse populaire (en se référant à la fréquentation des sites sur internet notamment) ... Les autres "génies" du siècle furent sans doute trop taciturnes (ou trop protégés par les fonctionnaires de la médiacratie) pour devenir véritablement universels, même si Chaplin, Pagnol ou Kubrick obtiennent un bon coefficient pour leur travail. Pasteur, Edison, Marconi, les frères Lumière ou Bill Gates (entre autres) sont suspectés d'avoir copié sur d'autres leurs inspirations ; Marx et Freud sont hors concours parce qu'aucune interprétation cohérente de leurs écrits n'est disponible à ce jour ...

# Aux yeux de certains de ses contemporains, Amadeus Mozart était un crétin turbulent, au Q.I. d'ailleurs tout aussi incertain que celui de Noé (notable farfelu qui fut moqué, sa vie durant, de construire un bateau en plein désert) ; ou que le Q.I. de Napoléon, et de Félix Potin ; qui ont aussi leurs détracteurs.

§ (Parfois deux, vivant simultanément ; pour preuve : Jean-le-Baptiste et Jesus-le-Nazaréen qui se sont rencontrés). 

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