... Un trafiquant d'armes ?

   Le terme de "négociant" (en armes) prend toute sa signification dès lors qu'il s'agit de pacifier une région en proie aux luttes tribales ... Unifier devient synonyme de Paix, surtout si les populations groupusculaires apprennent qu'un pays comme la France, par son Consul, couvre les activités du commerçant, désignant ainsi l'autorité reconnue sur place : Menelik.

Cette vente d'armes fut probablement une sorte de "coup médiatique", une maneuvre diplomatique. (Mais comment opérer une telle opération de communication sans quasiment que les médias ne soient inventés ? En mettant en marche une caravane voyante, et en misant sur le bouche à oreille ...)

Le "trafic d'armes" de Rimbaud aura été, en quelque sorte, et toute proportion gardée, son Téléthon personnel, son exploit utile, sa performance caritative ... (en conformité avec ses idées et convictions nées sur place).

Pour organiser une caravane d'armes destinées au futur négus Ménélik, monsieur Rimbaud dut patienter trente mois (de 1885 à 1887), dont un semestre à attendre de pouvoir lever le camp dans un hameau désert : Tadjoura.

Ses associés décédés suite à leurs maladies, la réglementation nouvellement imposée sous la pression des anglais, et les déplacements incessants du destinataire, ne furent que les premiers tracas que lui causa cette expédition. Sans parler des problèmes financiers répercutés par des chameliers guère enclins au bénévolat ...

Finalement il se dirige seul à la tête de la "caravane Labatut", portant 2000 fusils, pour se faire escroquer (une fois encore) à l'arrivée. (Ménélik, se sentant floué depuis longtemps par les français, lui prit en contrepartie les fusils ET les chameaux !)

Et ce client pas ordinaire paya avec un crédit géré par un autre administrateur, qui ajouta son inertie aux problèmes juridiques de la succession exigée bien vite par l'avocat charognard de la veuve Labatut ; créances qui empoisonnèrent longtemps l'existence finissante du livreur.

On parle souvent de "trafic d'armes" en évoquant la seconde partie de la vie d'Arthur Rimbaud. Mais, heureusement pour lui, ce n'est pas ce négoce, qui lui permit de vivre (il fut plutôt responsable de comptoirs d'import/export ou chef de chantiers).

Et, vu l'importance de la seule commande en armement qu'il convoya, on ne peut plus parler de trafic, ou alors plus près de nous beaucoup (les cadres de Thomson, Dassault etc.) seraient aussi des "trafiquants" (sans parler d'ELF-Aquitaine, à la sinistre renommée). Deux mille fusils, cela sous-entend l'existence de deux mille soldats... Cela se remarque ; l'équivalent de plusieurs régiments.

Et c'est d'ailleurs avec l'autorisation du Consul de France que le dénommé Rimbaud livra les armes aux combattants de Ménélik. Au grand jour ...*

 C'est ce qui fait la différence avec notre époque : Rimbaud portait le chapeau, il assumait son choix ; tandis que par le biais de l'actionnariat, aujourd'hui des "responsables" peuvent vendre une caution morale banalisée grâce à une responsabilité habilement diffractée (parmi des millions d'inconscients volontaires).

D'ailleurs là, si l'on se réfère au contexte, il s'agit plus d'un concours de circonstances (un peu par " la force des choses "), plutôt que d'un acte purement intéressé. " C'était écrit " comme on dit aussi (et le Fulgur' a toujours voué une passion sans retenue pour l'écriture ...) 

Finalement il s'agirait d'une humble participation, mais active, à une page historique de l'histoire de l'humanité, comme on va le voir.

Aperçu historique :

L'aspect historique, en plus d'être géographiquement particulier, de la pseudo "retraite" d'Arthur Rimbaud fut jusqu'à maintenant assez peu souligné, en voici brièvement quelques aspects.

Notons en passant la valeur dialectique et le poids historique de cette contrée où fut retrouvée assez récemment l'une de nos plus lointaines ancêtres préhistoriques : Lucy (à côté d'Harar précisément !). Ce qui confirmait pour la Nubie, l'Éthiopie, le Yémen et les pays limitrophes cette appellation de "Berceau de l'Humanité", rejoignant par là le tracé d'Eden décrit dans la Genèse.

C'est de là que tout est parti ...

Son voisinage avec l'Egypte (le premier pays monothéiste à notre connaissance) contribua à faire de l'Ethiopie le seul pays chrétien d'Afrique pendant longtemps, (notamment au moyen-âge sous le contrôle du Prêtre Jean). Jésus Christ, (autre marcheur infatigable...) ayant opéré depuis pas très loin, en Palestine, à l'autre extrémité de la Mer Rouge ; l'Ethiopie, déjà monothéiste depuis le fond des âges, était donc presque chrétienne avant l'arrivée du christianisme (!). (C'est-à-dire, en tous cas, bien avant la traduction du Nouveau Testament, et avant l'arrivée de l'Eglise au 4ème siècle, quand se fit la reconnaissance "officielle" de cette religion par le souverain le plus puissant d'alors sur place).

Harar, où séjourna longtemps Rimbaud, est surtout connue aujourd'hui pour être la ville natale de Haïlé Selassié Ier, Roi des Rois, le Négus et Lion Conquérant de la tribu de Judah, ou appelé encore Ras Tafari.

Ras Tafari se proclama 225ème monarque dans la lignée des rois éthiopiens, c'est-à-dire issue de l'union de Salomon avec Makeba, la Reine de Saba. (La Légende raconte que leur fils Ménélik I, élevé par sa mère, rejoint son père à l'âge requis ; il déroba l'Arche d'Alliance* et fit de l'Éthiopie la nouvelle Zion).

Ce qui n'est pas sans rappeler la phrase de Rimbaud " donc le poète est vraiment voleur de feu "...