digression N° 2

La renommée politique de Haïlé Selassié (1892-1975) fut confirmée, bon an mal an, surtout au sein des élites et de leurs supporters. Mais, curieusement, le déploiement de sa dimension spirituelle, tout aussi inédite, échappa partiellement à l'intéressé, forcément préoccupé par d'autres affaires, avant d'être brutalement anéantie par assassinat, après un "coup d'état" comme on dit (le putsch de 1974).

Pour l'anecdote, le Négus, lors d'une escale à la Jamaïque, avait failli refuser de descendre de l'avion, ébahi qu'il était par la vision d'une foule de "rastas" (groupe inconnu à l'époque) aux yeux ardents, qui l'attendaient au sol.

Toute timidité chassée par l'importance furtive de l'événement, une horde de marginaux aux cheveux hirsutes, avec des rythmes irréfrénés, guettait, enhardie par la flagrante communion d'idées, le frisson de l'expérience vécue. Mystique qui plus est. Ce vertige qui vous terrasserait presque, lorsqu'on croit traverser perpendiculairement l'Histoire, (lorsqu'on s'en aperçoit) ...

Car souvenons-nous que le hiatus, vu du hublot de l'oiseau d'acier, entre les hommages attendus et ce joyeux carnaval qui débordait un service d'ordre conciliant, venait du transfert des croyances. Les médias de l'époque n'avaient pu permettre à la voyance de Marcus Garvey d'atteindre les palais d'Ethiopie.

Et, par la grâce d'une généreuse dévotion, on s'attendait quasiment à ce que celui qu'avait annoncé la prophétie soit plus encore, peut être, qu'un "élu" ; un nouveau Messie ?

Un Etre Supérieur, diront certains Rastas de Ras Tafari. Des décennies plus tard, cette soif de confirmation sera toujours puissamment célébrée, avec une candeur poussant parfois presque à niaiser, (mais entretenue par les marchands du temple, et suscitée par la défection de l'éducation, corrélative à l'élitisme suffisant).

La chair de poule, en attendant ...

On proclamera encore, ensuite, cette " bonne nouvelle " de la revenue d'un Dieu fait homme en la personne de Haïlé Sélassié, (souvent avec une certaine passion revancharde), puis bien vite par la figure, plus populaire, de Bob Marley ...

En résumé : Haïlé est devenu une icône vers laquelle le terme "respect" est trop faible pour bien exprimer le sentiment éprouvé par certains ; car si l'on pouvait cliquer sur cette icône, c'est tout le peuple Noir qui serait accessible. Exercice intentionnel, utile pour rappeler que Dieu « a créer l'homme à son image », et qu'une part de divin est en chacun de nous (bien au delà de la couleur de son écorce ...)

 

Mieux encore que d'être de ceux qui verraient "en chair et en os" le représentant universel de leur race, ils espéraient donc presque une lumière divine sur la piste d'atterrissage ce jour-là. Car l'annonce prophétique de la venue d'un roi africain sur le trône, (sans être prophète pour autant, un descendant de Salomon, tout de même, ça ne court pas les rues !) avait été plus rapide que les comptes-rendus politiques et économiques colportés par les journalistes spécialisés.

La puissance du bouche-à-oreille avait devancé ici le protocole de la cause officielle, propre à la gestion d'un Etat. Le dirigeant ne se savait pas être à ce point l'inspirateur d'un tel courant multiculturel...

Mais sa mort obscène, la tête sous l'oreiller maintenu lâchement par un sbire manipulé, contribua malgré tout à entretenir le mythe.

 

Tel celui d'un James Dean imposant, qui, lui, habita durablement l'imaginaire des rockers (alors que sa mort fut tout aussi pitoyable, dans un accident de la route, après avoir tourné un spot pour la prévention routière, et, bien sûr, après avoir sauvé sa vie de l'engin infernal dans " la Fureur de Vivre ").

Souvenons nous aussi du mythe entourant Marilyn, éteinte prématurément pour s'être mêlée de politique ...

 

Effectivement, le petit monarque s'épuisa, sa vie durant, à se tenir comme sur la pointe des pieds, aux yeux des puissants d'un monde déjà falsifié. Tandis qu'il oubliait que son Dieu, à qui " appartient le règne, la puissance et la gloire ", l'habitait plus sûrement que lui n'habitait sa patrie éthiopienne (cf. son exil en Grande-Bretagne, de 1936 à 1941, avant de revenir avec les Alliés).

Bien sûr, cette admiration, objective (chez des "gens de couleur"), ce profond respect (quasi-unanime et ... incolore), voire cette dévotion, n'ont touché d'abord qu'une infime partie des habitants de l'île, puis des amateurs de musique "groovy" sur acétate, puis sur vinyle, mais de plus en plus nombreux dans le monde entier. Force est de constater que cette importante connivence rassembla finalement un nombre d'individus plus important que celui des Chrétiens de la première heure, ou d'une quelconque secte contemporaine. Un complément d'âme très répandu de nos jours, patrimonial en somme.

 

À l'évidence, aujourd'hui donc on sait que le destin de l'illustre passager qui se posa un jour à la Jamaïque, dépassait ses plus intimes ambitions, mais il ne se trouva personne dans son entourage pour le lui dire.

Pour le prévenir, Rimbaud aurait du vivre au moins une année de plus (en continuant de fréquenter le précepteur de Haïlé)... Lui qui connaissait le revers de la médaille. Le Fulgur' ne compta que sur lui-même pour échapper aux feux de la rampe ; pour préserver son œuvre de l'anecdotique et du superficiel, il ne connaissait pas de meilleur moyen que de l'enfouir au plus profond de ses synapses. Dans de vagues souvenirs doux-amers, croyait-il, ses mots pourraient se coltiner au travail prodigue des auteurs inspirés. Il ignorait alors que Verlaine et la postérité se chargeraient de surligner un destin si visiblement exceptionnel. En 1886 La Vogue publia "les Illuminations" qui commencèrent à trouver une certaine reconnaissance, sauf de la part de "l'illuminé" lui-même.

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